"Grâce à la danse – Une heure de gloire"
Première de Raimund Hoghe au Theater im Pumpenhaus de Münster - «Musique et mots pour Emmanuel» pour et avec Emmanuel Eggermont est un joyau de la danse contemporaine
Marieluise Jeitschko


Raimund Hoghe dédie sa nouvelle création au danseur Emmanuel Eggermont et célèbre ainsi le dixième anniversaire de leur collaboration. Et quel cadeau! De la musique et des mots à un artiste afin qu’il laisse libre cours aux possibilités de son corps. La fascination qu’exerce Eggermont ne réside cependant pas dans les séries de grands jetés, les cabrioles effectuées à la perfection, les pas de ciseaux hauts dans les airs ou les figures de break dance ou même dans toute autre acrobatie périlleuse. Il se contente bien plus de faire des mouvements de la main minimalistes - poignets pliés, vibrations fulgurantes des doigts tels des battements d’ailes de colibris -, une pose tenue longtemps d’un golfeur avant de frapper, des mouvements précis de la tête et des pointes des pieds au ralenti, des tremblements infimes de la taille qui laisseraient pantoise une danseuse du ventre.
Il retire après une demi-heure son t-shirt blanc et son pantalon noir, ses chaussettes et ses chaussures grossières à lacet pour se transformer bien vite en l’ombre de lui-même, de l’homme et du danseur actuel, en des temps plus anciens. La métamorphose s’effectue à l’aide d’habits entièrement noirs. Il se met alors à faire des courbettes, des révérences, à entamer de manière affectée un menuet. Il est tour à tour serviteur, courtisan, maître de cérémonie, l’incarnation d’un pochoir humain, une marionnette de l’étiquette à la cour. Hoghe a déjà disposé le prochain costume et rassemble ensuite posément les vêtements jonchant le sol. Une scène forte illustrant l’humilité de l’artiste.
Des textes historiques sont récités en toile de fond. Entre autres, Oskar Werner lit la «Rede über den Schauspieler» (Le discours sur l’acteur) de Max Reinhardt et Hoghe le testament de deux jeunes clandestins africains qui ont perdu la vie en 1999 en essayant d’atteindre l’Europe où ils comptaient survivre grâce à l’accès à l’éducation. Une superbe sélection de morceaux de Bach, Gluck et Mozart se fait entendre, mais c’est la chanson « Ne me quitte pas ! » de Jacques Brel qui reste la plus touchante de toutes.
L’ambiance est parfaite au cours de cette remarquable première, la troisième fois pour une chorégraphie de Raimung Hoghe dans les murs du Theater im Pumpenhaus de Munster. Hoghe a habillé cette fois-ci d’un tissu blanc cet espace sombre aux lourds rideaux et au fond marqué par des poutres rustiques. La scène est également blanche. à droite, une seule fenêtre à croisillons de l’ancien bâtiment industriel est encore visible. Le soleil du soir jette des ombres sur l’arrière de la scène, jusqu’à ce qu’il se couche, 40 minutes plus tard.
Au début de la représentation, alors que les derniers spectateurs n’ont toujours pas trouvé leur place, Raimung Hoghe se lève du pupitre de régie et fait le tour de la scène d’un pas énergique, le visage impénétrable et une barque minuscule dans la main. Le plasticien et collaborateur de Hoghe depuis 1992, Luca Giacomo Schulte, l’imite plus tard, toutefois sans bateau et en suivant une trajectoire circulaire plus petite.
à la fin, Eggermont fait ironiquement la révérence une bonne cinquantaine de fois avec des fioritures baroques jusqu’au bout des doigts avant que la lumière ne s’estompe à l’instar de la voix maternelle et apaisante de la lectrice de « Happy days are here again… » qui devient inaudible tout comme au début de ce temps fort de la danse moderne.
Ni autre que Raimund Hoghe n’a aussi bien compris que renoncer aux envolées corporelles favorise de nouvelles qualités. Il a appris à exprimer davantage avec moins. Il est passé maître dans l’art de présenter avec des moyens limités au possible le monde dans toute sa richesse et sa misère, ses traditions et ses beautés. «Musique et mots pour Emmanuel» de Hoghe, pour et avec Emmanuel Eggermont, est un joyau de la danse contemporaine.


©Marieluise Jeitschko
tanznetz.de, 2016
Traduction Paul-Louis Lelièvre